Les bibittes de la certification bio

Agriculture, Politique

Après avoir atterri sur un tournesol, la coccinelle ronde et écarlate mange des centaines de pucerons, qui autrement suceraient la sève des plants jusqu’à la mort du plant. La chrysomèle, avec son corps rayé jaune et noir, s’installe confortablement dans une fleur de courge, pour y manigancer un plan qui lui permettra de manger ce qui aurait normalement nourri notre cucurbitacée tant attendue.

Depuis 2012, la Ferme du Roulant et les jardins sur le toit ont la certification biologique d’Ecocert Canada. Produire des légumes frais et locaux pour la communauté tout en régénérant le sol et traitant la terre comme notre prochain a toujours été et restera au cœur des préoccupations des programmes d’agriculture du Roulant. 

Mais qu’est-ce que ça implique réellement, être certifié? Quelles sont les coccinelles et les chrysomèles? (lire avantages et inconvénients😉) Quelles pistes de réflexion génèrent ces constats? On se lance!

Commençons par une définition:

  • La certification biologique selon Écocert est « un processus rigoureux qui consiste à évaluer, de manière indépendante et impartiale, la conformité d’un produit, d’un service ou d’un système selon des exigences environnementales et sociales spécifiées dans un cahier des charges ou une norme. »

Ce qu’implique le processus de certification au Roulant:

  • Documentation de toutes les étapes de production afin d’assurer une traçabilité de chaque culture, de la semence à la vente
  • N’appliquer dans les champs et jardins que des produits certifiés biologiques (sauf quelques exceptions)
  • Une inspection annuelle
  • Dans les cas nécessaires, un ou des suivis de non-conformité
  • Des frais annuels de 850$ pour la ferme et de 160$ pour l’agriculture urbaine 

Les coccinelles de la certification biologique (avantages) 🐞

  • Faire partie du réseau des Fermiers de Famille 

Le Réseau des Fermiers de Famille est un réseau solidaire de producteurs maraîchers qui offre une plateforme de visibilité et de vente à travers laquelle la ferme du Roulant vend ses paniers bio depuis plusieurs années. Toutes les fermes en faisant partie sont certifiées ou en voie d’être certifiées.

  • Accès à davantage de subventions 

Le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) accorde des subventions d’équipement aux fermes pour encourager les choix biologiques. Si la Ferme du Roulant n’était pas certifiée, le financement de certains matériaux – comme les filets, les bâches et outils de désherbage –  passerait de 90% à 70%.

  • Confiance des consommateurs et consommatrices

En ayant un organisme externe qui confirme que nous avons des pratiques biologiques (selon leurs critères), nous gagnons plus rapidement la confiance chez les potentiels membres de paniers.

Les chrysomèles à être certifiés biologiques (inconvénients) 🚧

  •  Écoblanchiment

Malgré le dur travail de reconnaissance de la part de la communauté agricole soucieuse de leur impact, la certification bio est devenue une sorte de « super-brand ». Tout comme « poules en liberté » ces étiquettes ne garantissent pas toujours que les produits s’alignent avec nos valeurs. Un produit peut être certifié bio mais avoir des pratiques d’emploi atroces, et un autre produit peut tout à fait s’aligner avec nos valeurs, voir même être biologique, sans être certifié. Dans cet article sur la confiance en le logo bio français, on explique que les certifications « garantissent le respect d’un cahier des charges et non de résultats […]. De même, aucune exigence n’est demandée concernant la réduction des émissions de GES ou de l’empreinte hydrique. Il est donc tout à fait possible de cultiver des végétaux sous serre dans une région aride et les transporter par avion avant de les estamper « bio » […]. »

La bonne nouvelle est que, au-delà des étiquettes, une des meilleures façons de confirmer l’alignement avec ces dernières est de renforcer nos liens avec nos productrices et producteurs et de connaître leurs pratiques. #marchésfermiers! 

  • Temps et énergie

Au Roulant, les gestionnaires de programme, la direction et la comptabilité dédient des dizaines d’heures et d’énergie à la certification chaque année. Ces heures peuvent facilement se multiplier lorsqu’une non-conformité se présente. Prenons l’exemple récent de la paille: les fortes vagues de chaleur des deux dernières années ont rendu l’accès à de la paille certifiée difficile. Nous avons dû trouver des alternatives qui, au moment de l’inspection, ont été vues comme des non-conformités, mettant en péril la certification et ajoutant une grande pression à l’équipe. Plusieurs appels, courriels et sueurs plus tard, et malgré le tout résolu, nous demeurons avec la question suivante : et si cette énergie avait été dédiée aux champs ou à nos programmes d’éducation?

  • Refus de dons

Il arrive souvent, surtout dans le programme d’agriculture urbaine, que nous ayons à refuser des dons par souci de non-conformité avec la certification. Par exemple, une voisine souhaite nous offrir des semences qu’elle a elle-même préservées dans un jardin qu’elle cultive depuis 5 ans. Les accepter représente un stress, puisqu’il n’y existe pas de preuves papier qu’elles n’ont pas été aspergées. Pour nous, l’impact social et ultra-local ici nous semble plus grand que le risque de résidus chimiques. 

  • Un privilège à reconsidérer?

Être certifié biologique, ce n’est pas toujours accessible. Nous avons le privilège au Roulant de pouvoir dédier des ressources humaines, financières et administratives à la certification. Certaines fermes à petite échelle ont d’excellentes pratiques environnementales et sociales, mais ne se conforment pas à la certification, ou ne peuvent y accéder. Est-ce que le choix de ne pas être certifiés biologiques pourrait être un geste de solidarité avec les petits producteurs qui ont des pratiques alignées avec nos valeurs, mais qui ne peuvent accéder à la certification?

Pistes de réflexion 🛣️

  • En ce qui concerne les petits producteurs qui ne peuvent se permettre d’être certifiés, il serait possible que les producteurs n’assument pas les coûts de la certification. La facture pourrait être attribuée aux consommateurs, comme dans le cas de la cotisation des Fermiers de Famille. À l’achat d’un panier bio, les abonnés paient 18$ qui financent le réseau. Par contre, cette manière de couvrir les coûts risque d’augmenter le prix des légumes/fruits biologiques, qui sont déjà moins accessibles;
  • Le cas inspirant du Danemark : le gouvernement du Danemark paie le coût de la certification biologique dans l’objectif d’être le premier pays européen à avoir une agriculture 100% biologique d’ici la prochaine décennie; 
  • Beaucoup de coccinelles : la certification nous aura mis dans la routine de bonnes pratiques de documentation et traçabilité. Le travail de plusieurs décennies de la communauté agricole n’est certainement pas à jeter par la fenêtre;
  • Pas de justice environnementale sans justice sociale.

La certification biologique pourrait-elle être en train de dévier notre énergie de sujets importants comme la justice sociale, ou l’accès aux aliments sains pour tous et toutes? Pas nécessairement un argument contre la certification bio, mais un rappel important que des soucis plus systémiques d’accès à la nourriture se doivent d’être attaqués. Restez à l’affût pour une prochaine chronique agricole dans l’infolettre!

  • Pour ajouter de la complexité 🔥: le cas de USDA qui certifie l’hydroponie et le bétail en confinement, Real Organic propose une certification supplémentaire 

Heureusement, au Québec, la certification biologique des cultures hors-sol (sans lien avec le sous-sol et la roche mère), dont l’hydroponie, sont toujours interdites. Mais aux États-Unis, la situation est différente et fait du bruit. « Le résultat est que les vrais agriculteurs biologiques font faillite et que les vrais consommateurs de produits biologiques sont régulièrement trompés. Le choix d’acheter de vrais aliments biologiques dans les magasins se perd. Comment pouvez-vous distinguer le lait de pâturage de l’exploitation de confinement? Comment distinguer les baies et les produits cultivés en terre des produits hydroponiques? » 

Real Organic est une initiative menée par Leah Penniman, Jean-Martin Fortier et Vandana Shiva, trois personnes qui sont des piliers de justice environnementale et alimentaire en Amérique du Nord et qui sont très admirées au Roulant. L’initiative met de l’avant une certification supplémentaire qui distingue la culture en pleine terre et le bétail de pâturage à l’intérieur de la certification USDA Organic. 

Conclusion

La vocation de cette série de billets de blogue est d’ouvrir des petites fenêtres sur les coulisses du Roulant. Nous souhaitons faire remonter à la surface nos certitudes et incertitudes et les partager avec notre communauté pour que nous puissions ensemble continuer notre apprentissage.

Cette semaine nous posons peut-être plus de questions que nous apportons de réponses, dans un domaine dans lequel nous sommes pourtant parfois considérés comme un organisme de référence. Travailler en changement social requiert néanmoins de questionner sans cesse ses acquis et de se mettre dans une position d’inconfort pour innover, progresser, apprendre.  

Nous vous invitons donc à réfléchir à tout cela avec nous, une pomme à la main, et à continuer de soutenir vos fermières et fermiers maraîchers biologiques locaux, certifiés et non certifiés. 

Magali

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